Nouakchott, 03/10/2021 - Son Excellence le Président de la République, Monsieur Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, a accordé au journal français L’OPINION, une large interview au cours de laquelle il s’est exprimé sur de nombreuses questions militaires, diplomatiques, religieuses…
Le Président de la République s’est appesanti sur l’approche adoptée par la Mauritanie face au terrorisme, à la suite des attaques perpétrées contre notre pays entre 2005 et 2007. A ce propos, il a souligné qu’en dehors des services de défense et de sécurité, "les autres structures de l’Etat et les populations estimaient qu’elles n’avaient pas de rôle à jouer dans la lutte antiterroriste. Nous avons donc soumis au Premier ministre de l’époque, l’idée de faire participer les différents départements ministériels et les citoyens à ce combat, avec la mise en place d’une stratégie globale transversale, afin qu’ils prennent conscience que nous avions une mission commune. C’est ainsi que plusieurs départements ministériels interviennent désormais pour prendre en charge la réponse à la menace (ministères des Affaires islamiques, Sécurité intérieure, Défense nationale, Enseignement originel...). La nouvelle stratégie a mis du temps à être opérationnelle mais elle a vite donné des résultats. Tous les acteurs ont contribué à son succès comme les mahadras – les écoles coraniques – qui ont joué un rôle important dans l’identification des personnes fréquentant leurs établissements respectifs".
"Pour lutter contre la radicalisation, nous avons fait intervenir les oulémas pour faire comprendre aux terroristes en prison que la voie qu’ils avaient suivie n’était pas celle de l’Islam véritable. Un bon nombre d’entre eux sont aujourd’hui repentis et ont pu reprendre une vie normale" a rappelé le Président de la République.
Adaptation à la guerre asymétrique
Sur le plan purement militaire, le Président de la République dira qu’il a fallu admettre que notre armée, organisée en régions militaires à partir de nos écoles de défense, était davantage préparée à une guerre conventionnelle qu’à un conflit asymétrique et que face à l’urgence, les groupes spéciaux d’intervention (GSI) ont été créés, des unités qui ont les mêmes caractéristiques de mobilité et de légèreté que les groupes terroristes mais plus autonomes et supérieures en hommes et en équipements. Nous avons aussi cherché à restaurer la confiance des soldats qui avaient subi des pertes au combat, en allant traquer les terroristes dans leurs fiefs. Nous avons envoyé des unités au Mali. Elles ont affronté les terroristes victorieusement, même si nous avons subi des pertes. Cette stratégie a permis de créer un équilibre de la peur.
A propos de l’existence de cellules terroristes dormantes, le Président de la République a souligné que la menace n’a pas complètement disparu et que des cellules dormantes ont été dernièrement démantelées. « Ce ne sont probablement pas les dernières, mais nous avons de bons services de renseignement » a-t-il dit
Coopération avec la France
A propos de la coopération française, le Président de la République a remercié la France pour son appui, notamment pour la formation des GSI par des experts et conseillers militaires français. Parlant de la Force Barkhane, il a indiqué "qu’il ne faudrait pas considérer qu’une réorganisation du dispositif français va entraîner le chaos au Mali. Cette évolution est faite dans le but de rechercher plus d’efficacité".
Relations Algérie-Maroc
Sur la question des relations entre l’Algérie et le Maroc, le Président de la République a déclaré : "Je ne pense pas qu’il y ait d’intention ou de prémices d’une nouvelle escalade, et nous ne la souhaitons pas. C’est une situation qui aurait des effets négatifs pour l’intégration maghrébine qui souffre déjà de la crise libyenne. Il faut compter sur la sagesse de ces deux pays frères avec lesquels nous entretenons de très bonnes relations. Nous sommes disposés, s’ils venaient à nous le demander, à jouer un rôle de facilitateur. La Mauritanie affiche une neutralité positive dans le dossier du Sahara occidental depuis l’accord de paix d’Alger, le 5 août 1979, mettant fin aux combats avec le Polisario".
Relations avec les pays du Golfe
Au sujet des relations avec les pays du Golfe, le chef de l’État a noté qu’elles sont excellentes. Il a ajouté que "l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït ou le Qatar sont des pays amis. Le premier est un partenaire précieux qui a toujours accompagné les efforts de notre pays. Les Émirats arabes unis ont constamment répondu à nos appels. Nous avons pu mesurer la valeur de leur solidarité quand nous les avons sollicités pour financer le Collège de défense de Nouakchott. Nos relations avec le Qatar ont connu des ruptures mais nous avons tout naturellement rétabli nos liens diplomatiques et nous en sommes ravis. Nous avons nommé un chargé d’affaires à Doha avant la réouverture d’une ambassade. Le Koweït est un de nos plus anciens partenaires, qui a toujours fait preuve de générosité à notre égard. Il vient encore de nous aider à régler une dette qui datait d’un demi-siècle. La dette principale représentait 82 millions de dollars mais était montée à près d’un milliard avec les intérêts. Les autorités koweïtiennes ont accepté de procéder à 95 % de l’annulation de ces intérêts et nous ont accordé des conditions favorables pour le traitement du principal".
Dialogue ou concertations, la sémantique importe peu
En réponse à une question sur le dialogue en perspective, le Président de la République a rappelé que depuis son arrivée au pouvoir, il a fait le choix d’instaurer un climat politique apaisé, notant que les formations politiques ont souhaité la création d’un cadre de débats qui a été accepté. "Certains peuvent l’appeler dialogue et d’autres parlent de concertations politiques. La sémantique importe peu", explique-t-il, affirmant que l’essentiel est de répondre à la demande des acteurs politiques et de la société civile afin de se retrouver et débattre des questions d’intérêt général.
Néanmoins, il a précisé qu’il ne s’agit pas d’apaiser des tensions qui n’existent pas aujourd’hui, mais plutôt de faciliter le travail des multiples acteurs de notre pays, de les accompagner pour identifier des sujets ou poser des questions pour lesquelles il faudrait apporter une réponse. "Notre rôle sera à la fois celui d’arbitre et de garant pour que des idées consensuelles sortent de ces rencontres et permettent d’améliorer la gouvernance" a-t-il conclu sur cette question.